Le strabisme
Le mot "strabisme" vient du grec "strabos" qui signifie "qui louche".
La déviation des yeux n’est pas une banale anomalie esthétique mais dans la très grande majorité des cas elle est le témoin d’un désordre plus ou moins grave de la vision.
2 à 3% des enfants présentent un strabisme, et dans 2 cas sur 3 ce strabisme s’accompagne d’une baisse de la vision de l’œil dévié, c’est‐à‐dire d’une amblyopie.
Or l’amblyopie est irrécupérable si le traitement est trop tardif ! Quel que soit l’âge d’apparition d’une déviation oculaire chez l’enfant, il est donc indispensable de consulter un ophtalmologiste et de procéder à une prise en charge précoce et prolongée.
Les différentes formes de strabisme
Le terme de strabisme est connu du grand public mais il faut savoir qu'il existe de multiples formes de strabismes.
Les deux formes de strabisme principales sont :
- les strabismes convergents, l'axe de regard est en dedans (vers le nez)
- les strabismes divergents, l'axe de regard est en dehors (vers la tempe)
- à ces deux formes viennent s’ajouter les strabismes verticaux, où l'axe visuel d'un œil est plus bas que l’autre.
Il existe des formes héréditaires, cependant il n’a pas été isolé de gène directement responsable de cette maladie.
En savoir plus sur les différentes formes cliniques de strabismes
6 muscles oculomoteurs permettent le mouvement des yeux : vers le haut, le bas, les côtés… Les 2 yeux doivent observer avec une correspondance motrice.
Pour que la vision binoculaire (vision simultanée des 2 yeux) soit bonne, il faut également une correspondance rétinienne : les images formées sur la rétine (fond d'œil) de chaque œil, doivent se projeter en un point parfaitement homologue de chaque œil.
Pour comprendre le processus déclencheur de certains strabismes, il est important de comprendre l’importance de la vision simultanée des deux yeux qui va se développer dans les premiers mois de la vie.
Nous avons deux yeux bien distincts, chaque œil envoie une image au cerveau. Ces deux images sont légèrement différentes : l’image renvoyée par l’œil gauche est vue sous un angle différent de celle renvoyée par l’œil droit. Pour voir simple (c'est-à-dire non dédoublé), l’information visuelle est sommée de fonctionner ensemble pour former une image unique : c'est la vision binoculaire.
Ce mécanisme cortical nous permet de tout voir en simple mais aussi en relief par comparaison cérébrale entre l’œil droit et l’œil gauche, relief qui correspond à la réalité du monde. Le cerveau obtient de chaque œil une image simple et différente : c’est le processus cortical qui va créer une nouvelle sensation, différente de ce qui est perçu et qui reflète le réel. Ce processus qui a lieu au niveau du cerveau dépend de la qualité de l’image qui lui parvient.
Illustration du champ visuel adapté par Guide-Vue.fr
La vision monoculaire est la vision d’un seul œil, elle doit être égale en quantité et en qualité pour chaque œil. C’est un processus lent et progressif qui se mature tout au long de l’enfance, pour atteindre une acuité visuelle parfaite entre 4 et 6 ans. A 1 mois un enfant voit 1/20ème, à 1 an entre 2 et 3/10ème pour arriver à 10/10ème vers 6 ans si tout va bien.
En revanche, la vision binoculaire s’installe beaucoup plus rapidement, c‘est indispensable pour que chacun des 2 yeux développe une bonne acuité visuelle. Un bébé reconnaît le visage de sa maman très tôt, dès le 15ème jour de sa vie, et sa vision binoculaire est déjà développée à partir du 1er mois pour être tout à fait correcte au bout de 4 à 5 mois.
Les symptômes du strabisme
La première année de vie est très importante et il est nécessaire de contrôler les fonctions monoculaire et binoculaire de la vision.
Le calendrier de dépistage est celui délivré par les pédiatres, ce calendrier appliqué en France est très bien fait. Un bilan doit être effectué à :
- La naissance
- 9 mois
- 24 mois
La PMI et la médecine scolaire sont bien organisées et permettent à pratiquement tous les enfants d’être correctement suivis. L’ophtalmologiste n’intervient pas dans le dépistage, on ne le consulte que dans le cadre d’un diagnostic évoqué par des symptômes ou des antécédents familiaux.
L’enfant ne pouvant pas encore s’exprimer, il faut alors avoir recours à des examens pour contrôler l’état de sa vision.
Ces examens doivent impérativement être réalisés par un médecin ophtalmologiste qui est le professionnel compétent pour repérer les éventuelles anomalies de la vision et proposer des examens complémentaires en cas de trouble de la réfraction (défauts visuels) ou d’un strabisme notamment.
Le bilan doit être complet et attentif, spécialement en cas de strabisme, qui chez l’enfant peut être le signe d’une maladie organique (cataracte, rétinoblastome…).
Jusqu’à 4 mois, il est normal de constater un alignement oculaire variable : l'enfant a les axes du regard parfois alignés, parfois non alignés.
4ème mois, par contre, il faut commencer à s’inquiéter.
En photo : petite fille avec un strabisme convergent.
Les strabismes permanents et en particulier divergents(axe de regard dévié vers la tempe) sont à prendre très au sérieux car ils peuvent être le symptôme d’une pathologie neurologique nécessitant dans les meilleurs délais une consultation chez un ophtalmologiste spécialisé (enfants, strabologie).
Elément fondamental : si la vision binoculaire normale ne s’est pas instaurée avant l'âge de 12 mois, il sera très difficile de la récupérer !
Les causes du strabisme
Un strabisme peut être congénital ou acquis.
L'élément clé est la vision binoculaire (la vision des deux yeux ensemble) qui nécessite une correspondance rétinienne et une correspondance motrice.
Concrètement, pour que la vision binoculaire soit correcte, il faut que :
- l’information visuelle de chaque œil soit de même qualité
- les deux yeux regardent dans la même direction, avec une correspondance motrice et une même orientation du regard
- l’image provenant de l’œil droit se projette sur la rétine strictement au même endroit homologue que celle provenant de l’œil gauche. La correspondance rétinienne normale exige une même projection au niveau du cortex visuel (partie du cerveau en charge de la fonction visuelle).
- l’expérience visuelle de l’enfant lui permette de développer des réseaux neuronaux dès le 1er mois de sa vie et au moment où se met en place la vision binoculaire, entre le 4ème et le 12ème mois.
Si les neurones et leurs connexions ne peuvent pas se mettre en place, des problèmes apparaîtront dont l’amblyopie est le principal.
La correspondance rétinienne et la correspondance motrice ne sont pas séparables et de la qualité de l’une dépend la qualité de l’autre.
Il est primordial que la vision binoculaire soit instaurée avant l'âge d'1 an, dans le cas contraire il sera très difficile de la récupérer...
L'image d'un objet observé se forme sur la rétine, précisément sur la macula.
Dessin de Michel Saemann - in Larousse Médical © Larousse 2009. Ne peut être reproduit. Illustration adaptée par Guide-vue.fr
Le strabisme : les traitements
Un enfant qui présente un désordre oculomoteur doit consulter rapidement et obligatoirement un médecin ophtalmologiste qui est le seul habilité à faire :
- Un fond d’œil
- Une réfraction (examen visuel) sous cyclopégie (« dilatation de la pupille »)
- Un bilan anatomique
Ce bilan ophtalmologique est particulièrement complet et attentif car un strabisme chez l’enfant peut être le signe d’une maladie organique (cataracte, rétinoblastome…).
A partir de cet examen, il définit un programme de prise en charge : correction optique, bilan orthoptique…
Le bilan orthoptique est effectué par un professionnel de santé : un orthoptiste. Il va évaluer les composantes de ce strabisme pour en suivre son évolution, et surtout prendre en charge une éventuelle amblyopie, qui représente un retard du développement de la vision.
Chez le très jeune enfant, il est très important de suivre le développement de la vision de chaque œil (vision monoculaire), de la vision binoculaire, et de l’acuité visuelle. Celle-ci doit augmenter pour arriver à 10/10ème vers l’âge de 6 ans.
Pendant cette période de plasticité cérébrale, un œil qui dévie (œil strabique) pourrait alors prendre du retard et devenir amblyope.
Première étape : la prise en charge de l’amblyopie
Lorsqu’une amblyopie est diagnostiquée, il faut agir au plus vite car la récupération de la vision de l’œil en question sera d’autant plus rapide et bonne, que la prise en charge sera précoce.
Le traitement de l’amblyopie se fait par une occlusion totale, 24h/24h, de l’œil non-amblyope : il s’agit d’un cache, appelé opticlude, directement posé sur le contour de l’œil pour « pénaliser » totalement cet œil. Pour ne pas laisser passer la lumière, il est préférable qu’il soit posé devant l’œil que sur les verres de lunettes.
Ce dispositif permet à l’œil amblyope de « prendre la fixation », c’est-à-dire qu’il est obligé de se positionner dans l’axe d’observation de l’enfant pour lui permettre de voir. Ainsi, l’œil amblyope est sollicité et peut poursuivre son développement.
Le port des lunettes de vue est bien sûr permanent, il est nécessaire de surveiller et de s’assurer que l’enfant ne regarde pas au-dessus de la monture de lunettes.
Le temps d’occlusion totale sera fonction de l’amblyopie : les paramètres étant l’âge de l’enfant et son acuité visuelle. Pendant cette période, il n’est pas possible d’observer de modifications de l’angle du strabisme (angle de déviation anormale de l’axe du regard).
La surveillance pendant ce traitement de l’amblyopie doit être régulière afin de mesurer l’acuité visuelle de chaque œil et d’observer les progrès de la vision de l’œil amblyope, ou pas. C’est le plus souvent un orthoptiste qui assure ce suivi, le médecin ophtalmologiste fait un examen de vue précis tous les 3 ou 6 mois pour que les verres des lunettes soient toujours adaptés.
La conduite à tenir se fera en fonction de la récupération de l’œil amblyope : l’objectif de fin de traitement de l’amblyopie étant l’isoacuité, c’est-à-dire la même acuité visuelle sur les 2 yeux.
Après la phase du cache total, et une fois cette isoacuité atteinte, il faudra stabiliser ces résultats et continuer la surveillance de près pour éviter toute récidive de l’amblyopie. Cela passera :
- soit par une occlusion partielle et alternée : le cache est porté quelques heures par jour et en alternance entre l’œil dévié et l’autre œil,
- soit par une pénalisation optique, telle qu’une sur-correction optique de l’œil non amblyope.
A noter !
L’adhésion des parents est primordiale pour la réussite du traitement. Il est nécessaire que s’instaurent un dialogue et une éducation parentale assurés par l’ophtalmologiste et relayés par l’orthoptiste. Et n’oublions pas qu’il est aussi question de l’image et de l’estime de soi dans ces pathologies qui touchent des enfants jeunes et en pleine construction de leur personnalité !
Eventuelle deuxième étape : l’acte chirurgical
La première étape que nous venons de décrire, est plutôt sensorielle, c’est-à-dire que les professionnels s’occupent du développement de la vision par la prise en charge de l’amblyopie. En situation de strabisme, la déviation d’un œil étant un obstacle au bon développement de la vision, on traite d'abord l’amblyopie. Ce traitement étant sensoriel, il ne change en rien le problème moteur qui est la déviation strabique : la déviation anormale de l’axe de regard.
C’est pour cela que dans un 2ème temps, selon l’avis du chirurgien, la solution de la chirurgie est envisagée pour régler le parallélisme oculaire.
Cette éventuelle deuxième étape est destinée à régler la question esthétique par la chirurgie du strabisme, le but étant l’alignement des axes visuels.
Cette décision ainsi que les indications de la chirurgie du strabisme appartiennent au chirurgien qui déterminera le meilleur moment pour opérer. Le plus souvent entre 4 et 6 ans.
Elle peut être envisagée plus tard, même chez l’adulte, mais il est important de bien comprendre qu’elle ne règle que le problème esthétique du strabisme.
Le nombre d’interventions chirurgicales est en baisse et c’est un phénomène que l’on constate aussi bien en Europe qu’aux Etats‐Unis. Cela démontre l’efficacité de la lutte contre l’amblyopie et de la prescription d’une correction optique complète.
Source : Professeur Alain Péchereau, PU‐PH Hôtel‐Dieu de Nantes, Rapporteur SFO 2013 - Rapport Société Française d'Ophtalmologie 2013 : "Le strabisme". DP SFO "2013 : les nouveautés en ophtalmologie". Avec nos remerciements.
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