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La lumière, à consommer avec modération

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OPTICIENS ORTHOPTISTES OPHTALMOLOGISTES
18/11/2020

Si l’exposition à la lumière est indispensable pour notre vision, elle l’est aussi pour d’autres fonctions non visuelles comme, entre autres, le contrôle de nos rythmes circadiens ou celui de notre humeur, voire de certains cancers. Pour autant, il a été démontré que l’exposition quotidienne de l’œil à la lumière pouvait entraîner des problèmes de vue, voire la cécité. Une nouvelle étude, réalisée à l’Institut de la Vision à Paris, vient d’en préciser le processus.


Grâce à la lumière, l’œil capte les images et les transforme en signaux électriques qui sont ensuite envoyés au cerveau : ainsi fonctionne le système visuel. Pour autant, la lumière peut aussi être toxique pour l’œil : cela est par exemple clairement admis pour les cas de brûlures de la rétine intervenant lorsque le regard se tourne vers un arc à souder ou vers le soleil, comme lors de l’observation d’une éclipse. La toxicité d’une exposition quotidienne à la lumière du jour est quant à elle plus difficile à appréhender et à démontrer. Pour autant, l’exposition quotidienne au soleil est maintenant reconnue comme un facteur de risque pour des maladies évolutives comme la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA). Cette reconnaissance repose sur des études épidémiologiques qui ont corrélé le taux d’exposition à la lumière solaire avec le risque de développer une DMLA. Ces études ont même incriminé la lumière bleue, plus porteuse d’énergie dans le spectre de la lumière visible.


La lumière bleue, qu’est-ce que c’est ?

Il faut rappeler que la lumière du soleil se décompose, notamment en temps de pluie, en un spectre des différentes couleurs de l’arc-en-ciel. La nature a développé un filtre naturel de lumière bleue, les pigments dits “maculaires”, dont l’accumulation tend à se réduire avec l’âge. Ces pigments maculaires filtrent la lumière bleue et réduisent le stress oxydant de la lumière à l’origine de sa toxicité. Des études ont montré que l’évolution de la DMLA pouvait être ralentie par la prise alimentaire de ces pigments maculaires, car ils s’accumulent dans la macula, la région centrale de la rétine responsable de notre grande acuité pour les tâches fines comme la lecture. Les récentes évolutions dans les systèmes d’éclairages, qui pour des raisons économiques et environnementales ont introduit dans notre univers quotidien des diodes électroluminescentes (LED), ont suscité un certain nombre d’interrogations sur la contribution possible de ces éclairages à la toxicité de la lumière. Ces interrogations étaient renforcées par la présence d’une composante majeure de lumière bleue pour certaines de ces diodes.

Cellules de l’épithélium pigmentaire rétinien avec le noyau des cellules (bleu), la membrane délimitant chaque cellule (rouge) et l’introduction des dépôts de dérivés du pigment visuel (vert) permettant de modéliser le vieillissement cellulaire. D’après Arnault et al., 2013.

Evaluer l’effet de la lumière sur la rétine

A l’Institut de la vision, l’un des plus importants centres de recherche entièrement dédié aux maladies oculaires, des chercheurs ont souhaité comprendre cette toxicité de la lumière afin de pouvoir s’en prémunir. L’objectif étant que les fabricants de verres ophtalmiques développent des verres pouvant protéger du rayonnement toxique, sans pour autant abaisser la qualité de la vue - en particulier en termes de couleurs -, ni affecter les autres fonctions non visuelles de la rétine. Pour réaliser ce projet, un dispositif optique a été construit pour exposer des cellules rétiniennes à la lumière visible en découpant le spectre visible de l’arc-en-ciel en bande de longueurs d’onde de 10 nanomètres (nm). La lumière bleue, qui s’étend du bleu violet (400-450 nm) au bleu turquoise (450-500 nm), peut ainsi être découpée en 10 bandes à tester. Dans la DMLA, les photorécepteurs à cône dégénèrent mais leur dysfonctionnement est souvent attribué aux cellules de l’épithélium qui sont responsables du renouvellement et de l’entretien des photorécepteurs d’un point de vue métabolique. Ce projet a consisté à évaluer l’effet de la lumière sur les cellules de cet épithélium et sur les photorécepteurs.


Les photorécepteurs, une cible première de la phototoxicité

Pour commencer l’étude, les chercheurs ont isolé des cellules de l’épithélium pigmentaire rétinien à partir d’yeux de porc provenant des abattoirs. L’intérêt de ce modèle animal est sa proximité morphologique et fonctionnelle, ainsi que sa disponibilité sans limite. Pour accélérer leur vieillissement, ces cellules ont été placées dans un milieu contenant un dérivé du pigment visuel qui s’accumule avec l’âge. Elles ont ensuite été exposées à la lumière avec les bandes de 10 nm de longueurs d’ondes. L’intensité de chacune de ces bandes a été calculée en fonction de l’intensité solaire reçue par la rétine après le filtrage par les optiques de l’œil. Les résultats ont indiqué que la lumière la plus toxique était comprise entre 415-455 nm (Arnault et al., 2013), c’est-à-dire dans la zone correspondant à la lumière bleue-violette.

Dans un second temps, les chercheurs ont isolé les photorécepteurs à cône de la rétine de porc pour évaluer directement sur ces cellules l’effet de la lumière. Ils ont ainsi été les premiers à démontrer l’effet toxique de la lumière sur les photorécepteurs purifiés. Cette fois, la toxicité de la lumière est intervenue principalement entre 425-445 nm, toujours dans cette même gamme de lumière bleue-violette (Marie et al., 2020). Cette toxicité indépendante de la sensibilité naturelle du photorécepteur permet de penser que le pigment visuel n’est pas le coupable. Les intensités toxiques étant plus faibles pour les photorécepteurs que pour les cellules de l’épithélium pigmentaire, ces résultats suggèrent que les photorécepteurs pourraient être la cible première de la phototoxicité. L’intensité lumineuse utilisée correspond à des luminances rencontrées en France au mois d’août (Marie et al., 2020). Cependant, les cellules ont été exposées dans les tests sur une durée de 15 heures. Une journée ne devrait donc pas induire de toxicité mais l’accumulation quotidienne d’exposition à ces lumières intenses pourrait déclencher ces processus neurodégénératifs.
Par conséquent, la lumière doit, elle aussi, être consommée avec modération en évitant les expositions prolongées aux fortes luminances du soleil sans protection adéquate de nos yeux, en renforçant la surveillance pour les enfants.

Photorécepteurs à cône présentant la partie photosensible (segment externe), la zone de production énergétique (segment interne), le corps cellulaire avec le noyau, la terminaison synaptique. D’après Mélanie et al., 2020

 

De l’importance du port de lunettes de soleil

Ces résultats incriminent la lumière bleue-violette dans la toxicité de la lumière pour les photorécepteurs. Ces phénomènes sont accrus au cours du vieillissement et donc de la DMLA car des dérivés du pigment visuel s’accumulent dans l’épithélium pigmentaire. La filtration de cette lumière bleue pourrait donc limiter cette toxicité de la lumière et le risque de cécité sans affecter la vision des couleurs, ni les rythmes circadiens activés dans la gamme de bleu turquoise. L’absence de maturation de l’optique des jeunes enfants et donc une pénétration accrue des UV et de cette lumière bleue-violette renforce la nécessité absolue de protection sous fortes luminances, et donc le port de lunettes de soleil. Quant à la toxicité de nos luminaires, si un usage correct est fait, leur luminance étant bien plus faible que celle du soleil, ils ne devraient pas être la cause directe de phototoxicité.

 

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Sources E. Arnault, C. Barrau, C. Nanteau, P. Gondouin, K. Bigot, F. Vienot, E. Gutman, V. Fontaine, T. Villette, D. Cohen-Tannoudji, J.A. Sahel, S. Picaud, Phototoxic action spectrum on a retinal pigment epithelium model of age-related macular degeneration exposed to sunlight normalized conditions, PloS one 8(8) (2013) e71398.
M. Marie, V. Forster, S. Fouquet, P. Berto, C. Barrau, C. Ehrismann, J.A. Sahel, G. Tessier, S. Picaud, Phototoxic damage to cone photoreceptors can be independent of the visual pigment: the porphyrin hypothesis, Cell Death Dis 11(8) (2020) 711.

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