Opticien Balaruc-le-Vieux Cc Carrefour - Krys
Marion V
Suite de notre série de portraits de "Femmes d'excellence" en ophtalmologie. Direction l'hôpital Cochin à Paris où nous avons eu le plaisir de rencontrer la Professeure Francine Behar-Cohen. Son premier maître en ophtalmologie, le Pr Yves Pouliquen lui disait : « Ma petite Francine, vous ne pouvez pas changer le système ». Elle lui répondait : « J’espère au moins que le système ne me changera pas ». Et bien, non seulement le système ne l’a pas changée mais elle l’a changé, en parvenant à mener de front avec brio recherche et soins, à une époque où le système ne le permettait pas, et à pousser l’innovation au-delà des frontières de la recherche académique.
Pr Francine Behar-Cohen
Ophtalmologiste, Université Paris Descartes,
Centre de recherche des Cordeliers et Hôpital Cochin © DR
Pour la Pr Francine Behar-Cohen, la recherche médicale est une évidence depuis l’âge de 7 ans, quand elle est confrontée à la maladie d’un de ses proches. « Je ne conçois pas la médecine autrement. Si ce n’est pas nous, médecins, qui faisons progresser la médecine, qui le fera ? Des gens dans des laboratoires, déconnectés des questions posées par les patients ? », clame-t-elle. C’est donc avec un engagement total qu’elle veut prendre part à ces avancées. Dès 1998, elle se lance, en parallèle de son internat de médecine, dans une thèse de sciences. Elle comprend vite aussi l’importance de la pluridisciplinarité et entre en contact avec de nombreux spécialistes dans des domaines variés : biophysiciens, experts en polymères ou en nanotechnologies… Et elle met rapidement au point sa première innovation brevetée : une méthode d’administration des médicaments dans l’œil non invasive. Pourquoi ? Parce que notre œil, extension de notre cerveau, dispose des mêmes barrières qui empêchent les molécules d’y pénétrer. Pour y faire entrer un médicament, il faut donc, soit l’injecter directement dans l’œil, soit administrer des doses massives par voie sanguine pour qu’une petite portion arrive jusqu’à l’œil. Elle conçoit alors une lentille de contact dans laquelle passe un faible courant électrique qui rend l’œil poreux aux médicaments. Le début d’une longue série de 26 brevets !
"Continuer à opérer est une nécessité, pour garder "les mains dans le cambouis" dans une spécialité très technique où la chirurgie est un élément majeur de la réussite d'un traitement"
À la fin de ses études, elle craint d’être obligée de choisir entre médecine et recherche. Heureusement, c’est à cette époque, en 2001, que l’Inserm lance ses premiers contrats d’interface et son programme Avenir, qui permettent justement à des médecins de consacrer une partie de leur temps à la recherche. Mais ces contrats n’ont qu’un temps: six ans. Se résoudra-t-elle alors à faire un choix ? Ce serait mal la connaître ! Elle va plaider sa cause auprès du président de son université, l’université Paris Descartes, qui entend ses arguments et lui crée un poste sur mesure pour poursuivre ses recherches en parallèle de son activité clinique à la Fondation Rothschild. Toujours pour permettre aux médicaments de franchir les barrières de l’œil, elle expérimente cette fois les premières nanoparticules qui, par leur petite taille, parviennent à délivrer un médicament à l’intérieur même des cellules malades ciblées. Mais aucune technique ne répond à toutes les situations cliniques, l’ophtalmologiste poursuit donc sa quête de nouveaux moyens d’administration.
Et elle trouve : les thérapies géniques non virales. Les thérapies géniques, qui permettent de faire produire à l’organisme une protéine qui lui fait défaut à cause d’une maladie génétique, sont souvent administrées via un virus, qui pénètre dans la cellule et y dépose le gène réparateur. « Faire pénétrer un virus dans l’œil n’est pas sans risque et ces thérapies sont bien adaptées pour les malades qui ont besoin d’un traitement toute leur vie, mais elles le sont moins pour ceux qui en ont besoin ponctuellement selon l’évolution de leur maladie »,explique-t-elle. La spécialiste mise donc sur un plasmide, un fragment d’ADN plus sommaire qu’un virus, et sur un courant électrique pour lui permettre de pénétrer dans les cellules musculaires chargées d’accommoder la vision, de faire la « mise au point » de l’œil. « Les premières phases d’essais cliniques ont montré l’innocuité de la technique et des signaux d’efficacité contre la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA). Maintenant, il s’agit de trouver des financements pour aller plus loin », avance-t-elle.
© Inserm / François Guénet
Autre exemple parmi les innovations les plus marquantes qu’on lui doit : un nouveau système d’imagerie de l’œil. « Tous les systèmes actuels font rentrer la lumière par la pupille, la partie centrale et transparente de l’œil, mais cela ne permet pas de visualiser certaines structures profondes. Nous avons donc eu l’idée d’utiliser des infrarouges pour faire passer la lumière par l’arrière à travers la sclérotique, le blanc de l’œil ». Le concept est… lumineux. Reste à faire de multiples tests pour trouver la bonne longueur d’onde et développer des programmes d’intelligence artificielle pour corriger les images obtenues qui comptent pour l’instant trop de défauts. Côté thérapeutique, Francine Behar-Cohen ne manque pas d’idées non plus, comme celle de « repositionner » certains médicaments. Il a été montré dans son laboratoire par exemple que les patients traités par le glibenclamide, un antidiabétique, souffraient moins de DMLA. Pourrait-on en faire un traitement contre cette pathologie oculaire ? « Il faut faire un essai clinique pour le démontrer mais cela ne suscite pas l’enthousiasme des laboratoires pharmaceutiques car la molécule est déjà brevetée », se désole la Pr Behar-Cohen. Elle compte donc sur le lobbying des associations de patients pour pousser l’argent public à aller dans ce genre de voie. Et c’est bien grâce à ses patients que jamais elle ne se décourage : « la recherche, c’est 99% d’échecs, mais la médecine, c’est 99% de réussite, c’est là que je me remonte le moral : quand un jour, j’opère, et que le lendemain, mon patient me dit “je vois”. »
Propos recueillis par Valérie Devillaine
Photo en vignette : © Inserm / François Guénet
Face aux maladies rétiniennes héréditaires responsables de handicaps visuels souvent lourds, les meilleurs espoirs pour les patients se fondent depuis plusieurs décennies sur la thérapie génique.
Véritable enjeu de santé publique, les pathologies rétiniennes sont à l’origine de divers handicaps visuels, et de répercussions variables sur la vie sociale et professionnelle des patients concernés.
C'est la dernière-née des stratégies thérapeutiques explorées pour répondre à l’immense défi de santé publique que représentent les maladies de la vision.
Marion V
Elisabeth G
Anne-Laure P
Aurélie C