Thérapie génique rétinienne, l’approche de la recherche au Royaume-Uni

Avec son groupe de recherche, Matteo Rizzi se concentre sur le développement de thérapies géniques rétiniennes, en tenant compte de l’aspect fonctionnel plutôt que simplement génétique. Il est venu présenter ses travaux à l’Institut de la Vision lors d’un séminaire en octobre dernier.
Matteo Rizzi
Maître de conférences et chef de groupe au sein du Laboratoire de perception et de réparation visuelles,
Institut d'ophtalmologie de l'UCL/Moorfields Eye Hospital. ©DR
A la tête depuis 2021 d’un groupe de recherche au sein du Laboratoire de perception et de réparation visuelles, à l’Institut d'ophtalmologie de l'UCL/Moorfields Eye Hospital, au Royaume-Uni, Matteo Rizzi a été attiré vers les neurosciences pour leur complexité. « Quand vous étudiez la rétine, quel que soit les cellules que vous regardez, vous devez toujours prendre en compte les niveaux supérieurs et inférieurs, la façon dont l’information est intégrée. Cela m’a dès le début semblé une façon très excitante, et je dirais même très ‘saine’, d’envisager un problème ».

Institut d'ophtalmologie de l'UCL/Moorfields Eye Hospital ©DR
Une recherche sur les thérapies géniques rétiniennes inspirée et alimentée par les patients
Dès le départ, Matteo Rizzi est motivé par la recherche à visée thérapeutique : « Avoir la possibilité de travailler avec les médecins et leurs patients est non seulement extrêmement utile en termes de données, mais surtout très inspirant. Savoir que vos recherches peuvent avoir un impact massif sur leur qualité de vie est transformateur » témoigne-t-il. Ainsi, la plupart de ses projets de recherche, centrés autour du développement de thérapies géniques rétiniennes, commencent à l’hôpital. Et pour cause : le Moorfields Eye Hospital regroupe une très large cohorte de patients qui présentent une collection de mutations génétiques dans les différents types cellulaires pouvant être impliqués dans les pathologies visuelles. Ceci permet à Matteo Rizzi et son équipe de caractériser finement l’impact de chaque anomalie génétique sur la perception visuelle. Pour cela les chercheurs ont recours à des tests psychophysiques pour identifier, via les réponses des patients, comment les différentes parties de l’œil réagissent aux composantes des stimulus visuels (intensité de la lumière, contraste, vitesse d’apparition ou de déplacement…). « Cela nous permet de répondre à toutes sortes de questions : quelles fonctions visuelles sont touchées ? où sont-elles touchées ? dans quelle partie de l’œil ? est-ce que l’impact est le même si la dégénération rétinienne est centrale ou périphérique ? » explique le chercheur. La question est ensuite ramenée au laboratoire, où Matteo Rizzi et son équipe s’appuient sur de nombreux outils cellulaires et modèles animaux pour mener leurs recherches, ainsi que sur les organoïdes rétiniens. « On peut poser à ces derniers encore moins de questions directes qu’aux souris, sur lesquelles on peut au moins faire des tests comportementaux », plaisante le chercheur, « mais parce qu’ils proviennent directement des patients dont nous testons la vision, les organoïdes nous donnent une version cellulaire de leur rétine, sur laquelle nous pouvons travailler ». C’est grâce à ces outils que le scientifique peut décortiquer les mécanismes qui sous-tendent les réactions psychophysiques liées aux pathologies, et travailler sur des solutions.

Institut d'ophtalmologie de l'UCL/Moorfields Eye Hospital ©DR

Institut d'ophtalmologie de l'UCL/Moorfields Eye Hospital ©DR
Du design de vecteur…
L’un des problèmes centraux auxquels s’intéresse Matteo Rizzi est le tropisme cellulaire des vecteurs. En thérapie génique, on utilise en effet des virus modifiés, tirant partie de leur capacité à empaqueter du matériel génétique et à l’injecter dans les cellules pour faire parvenir dans celles que l’on veut cibler les copies du gène que l’on souhaite restaurer. Mais chacun de ces vecteurs viraux possède une capacité et une affinité pour des cibles cellulaires qui lui sont spécifiques. Parfois, celles-ci ne correspondent pas aux besoins thérapeutiques. « C’est le cas de la maladie de Stargardt. Nous savons avec certitude que le gène en cause est ABCA4. Mais il est de très grande taille, et les vecteurs qui sont capables de le transporter ont une mauvaise affinité avec les photorécepteurs, où il s’exprime. Ce que nous essayons de faire c’est donc de modifier ces vecteurs pour améliorer leur tropisme vers les photorécepteurs, un peu comme on ajusterait une clé pour qu’elle ouvre un cadenas » explique Matteo Rizzi. Le chercheur va même un cran plus loin puisque, en collaboration avec un autre laboratoire, ils travaillent également à synthétiser l’ensemble du vecteur, pour en faire une alternative non virale. « Nous en sommes encore au tout début mais je pense que l’avenir est là. Que quand nous regarderons en arrière, on se dira peut-être que c’était un peu fou d’utiliser des virus pour pirater notre corps. Mais c’est le cas de beaucoup de sciences, qui deviennent plus performantes et plus sures à mesure qu’elles progressent » partage Matteo Rizzi.

Institut d'ophtalmologie de l'UCL/Moorfields Eye Hospital ©DR
… à l’utilisation de l’inhibition latérale
L’autre axe de sa recherche concerne la façon dont la perte de la sensibilité d’une partie de la rétine a un retentissement profond sur la zone qui entoure cet endroit. « On pourrait comparer la rétine à la surface d'un étang » illustre le chercheur, « Si la surface est calme, nous voyons un reflet cohérent du monde au-dessus, mais si nous jetons un caillou sur la surface, nous perturbons l'image. Il en va de même pour la rétine : la perturbation d'un point de la rétine, par exemple en raison d'une dégénérescence maculaire, affecte l'image tout autour de ce point. En conséquence, le signal provenant d'une grande partie de la rétine devient confus et le cerveau ne peut pas l'interpréter correctement ». Rizzi et ses collègues ont découvert que cet effet n'est pas seulement dû aux composés toxiques que les cellules en dégénérescence libèrent, mais aussi à la perte de ce que les scientifiques appellent "l'inhibition latérale". Ce mécanisme de suppression sélective de certains signaux nerveux lors de leur intégration dans les niveaux supérieurs de la rétine permet d’augmenter l’acuité du signal sensoriel perçu. « Nous avons été surpris de découvrir à quel point la perte de l’inhibition latérale joue un rôle important dans la dégradation de la vision. Ce qui est passionnant, c'est que nous savons depuis longtemps quelles sont les cellules responsables de ce mécanisme, ce qui signifie que nous avons une cible cellulaire claire pour concevoir une thérapie », explique Matteo Rizzi. Pour résoudre ce problème, il cherche à s’associer avec des sociétés pharmaceutiques pour développer une thérapie génique qui permettrait, un peu à la manière de l’optogénétique, de venir réactiver la fonction de ces cellules. « Si vous pensez au tableau de lecture des médecins, cela pourrait représenter un gain de trois à cinq lignes, ce qui est une amélioration considérable de la vision ! » s’enthousiasme le chercheur. Mais le défi pour en arriver là est d’importance, car il nécessite de comprendre très précisément comment le circuit visuel est impacté par ces pathologies et comment court-circuiter les signaux altérés.
Parce qu’elle est globale, cette approche permettrait de répondre à de très nombreuses pathologies qui ont le même impact sur les niveaux cellulaires supérieurs, à la différence des thérapies géniques ciblés, qui s’adressent à une maladie précise, souvent héréditaire, provoquée par une mutation bien identifiée, (dite « monogénique »). « Si une thérapie génique peut améliorer la vision, c'est formidable. Mais si elle peut arrêter ou ralentir la maladie, c'est encore mieux ! Le Graal serait, pour toute forme de maladie héréditaire ou acquise, de mettre au point un traitement capable de faire les deux et d'agir si tôt que la dégénérescence est très faible, voire inexistante. C'est pourquoi nous explorons le potentiel de toute thérapie que nous développons pour ralentir la dégénérescence. Si la maladie mettait 30 ans au lieu de 15 ans pour atteindre le stade final, ce serait fantastique », conclut Matteo Rizzi.
Propos recueillis par Aline Aurias
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