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Aurélie C
Le projet Deep Retina ambitionne de faire avancer la compréhension des mécanismes à l’œuvre dans la traduction et la conversion de la lumière en images. Explications avec le Dr Olivier Marre, chercheur à l’Institut de la Vision et et lauréat de la bourse d’excellence « Consolidator Grant » du Conseil Européen pour la Recherche pour développer ce projet.
Notre compréhension du fonctionnement de l’œil et de ses pathologies, et les traitements qui en découlent, progressent de jour en jour. Il reste cependant de nombreuses inconnues dans le domaine de la vision. Parmi ces questions sans réponse, la plus basique reste probablement celle-ci : « comment voit-on ? ». Car si la rétine a longtemps été considérée comme une simple caméra, transformant l’information lumineuse en signal électrique avant de la transmettre au cortex visuel où se ferait le traitement de l’information, la réalité est beaucoup plus complexe. Ces dernières décennies, de nombreux résultats de recherche ont démontré qu’en réalité, un prétraitement de l’information visuelle avait lieu dès la rétine.
Olivier Marre, directeur de recherche Inserm, chef de l’équipe Circuits rétiniens et Computation à l’Institut de la Vision, Paris.
Cette question, Olivier Marre se l’est posée très tôt. Cet ingénieur polytechnicien suit durant sa formation initiale un séminaire intitulé Cerveau et cognition. Il y rencontre le Dr Yves Frégnac, spécialiste du cortex visuel à l’Institut de Neurosciences Paris-Saclay, dans le laboratoire duquel il fera son stage de fin d’études. Après son master 2, il le retrouve pour sa thèse, qui porte sur la réponse physiologique du cortex visuel primaire à des stimuli visuels complexes. Il complète son expérience de recherche par un post-doctorat au sein du département de Biologie Moléculaire de l’université de Princeton. Il y développe une méthode qui permet d’enregistrer en même temps les signaux électriques émis par un très grand nombre de cellules ganglionnaires, la couche de cellules qui envoie l’information au cerveau via le nerf optique. Dans la pratique expérimentale, il s’agit de prélever la rétine d’yeux de souris, qui sont un modèle pertinent pour modéliser la vision humaine de la rétine périphérique, et de l’aplatir sur une grille d’électrodes. Celles-ci vont enregistrer les signaux émis par les cellules ganglionnaires lorsque différents stimulii sont présentés aux photorécepteurs, maintenus fonctionnels ex vivo.
" Si la rétine n'était qu'une caméra, il n'y aurait pas besoin de quoi que ce soit d'autre que des photorécepteurs."
Si cette technique est déjà extrêmement puissante, elle ne permet pas à elle seule d’explorer ce qui se passe dans l’épaisseur de la rétine. Olivier Marre s’intéresse particulièrement à la couche granuleuse interne, qui sépare la couche des photorécepteurs de celle des cellules ganglionnaires. « Si la rétine n’était qu’une caméra, il n’y aurait pas besoin de quoi que ce soit d’autre que des photorécepteurs. Au contraire, on a pu montrer qu’entre eux, qui sont la porte d’entrée, et les cellules ganglionnaires, qui sont la sortie, il se passe déjà énormément de choses », précise-t-il. Plus encore, alors que jusqu’ici on considérait que ces cellules fonctionnaient selon un modèle simple « on/off », les derniers résultats de l’équipe Circuits rétiniens et Computation, et de plusieurs de leurs collègues partout dans le monde, montrent désormais que leur fonctionnement est bien plus complexe. « Ce qui a été obtenu en conditions de laboratoire l’a souvent été à partir de stimulations plutôt simples. Mais dans l’environnement naturel, les scènes auxquelles nous sommes soumis sont incroyablement complexes ! Ce que nous avons appris sur la base de ces stimulii simples permet-il d’extrapoler le fonctionnement rétinien en conditions réelles ? Les premiers résultats laissent penser que non, que lorsque les scènes perçues sont complexes, les mécanismes le sont également ». C’est précisément ce constat qui est le point de départ du projet Deep Retina.
Olivier Marre © Institut de la Vision
Des stimulus simples (l’apparition d’un point sur un écran), donnaient des réponses simples (telle cellule ganglionnaire s’active, ou non). L’utilisation de scènes naturelles, par nature plus complexes, a fait émerger une réalité plus complexe elle aussi. Il existe en fait différentes catégories de cellules qui réagissent à différents types de stimulus. Dans la pratique, l’identification de ces cellules se fait en enregistrant leur réponse quand elles sont exposées à une photo, à laquelle est superposée une grille de pixels aléatoires, un « bruit ». En répétant l’exposition à cette même photo avec des bruitages différents, il est possible de déterminer à quelle partie de l’image réagissent chacune des cellules enregistrées. Le résultat, imprévu mais passionnant, est le suivant : cela dépend de l’image ! La réponse des cellules ganglionnaires n’est donc pas liée à ce qui se passe dans une partie déterminée de l’image. « Certaines cellules ganglionnaires par exemple ne réagissent que si le stimulus qu’elles voient est un mouvement dans une direction précise ! » s’enthousiasme Olivier Marre. Pour d’autres, dont on a pu penser qu’elles réagissaient à l’augmentation ou à la diminution de l’intensité lumineuse, il a été possible de mettre en évidence grâce à ces expériences qu’elles pourraient en fait réagir à la présence d’un contraste ! Au fur et à mesure des tests, se dessinent différents types de cellules ganglionnaires, qui pourraient correspondre aux différents types de formes, d’anatomie, qu’on leur connaît.
Mais la complexité ne s’arrête pas là. En effet, entre les photorécepteurs et les cellules ganglionnaires se trouvent plusieurs types de cellules, dont un en particulier a retenu l’attention d’Olivier Marre, les cellules dites amacrines. Ces neurones semblent avoir un rôle important dans la modulation du signal visuel. Cependant on compte plus d’une soixantaine de types de ces cellules amacrines, et la communauté scientifique n’a encore une idée précise que de la fonction de 3 à 4 d’entre elles. La raison en est simple : situées au cœur de la rétine, elles sont difficiles d’accès. Et comme elles sont elles-mêmes connectées à différents autres types cellulaires, démêler leur rôle de celui des autres cellules du circuit n’est pas une tâche aisée. C’est là qu’entre en jeu les travaux d’une collègue du Dr Marre, la Dr Valentina Emiliani, directrice de recherche CNRS, directrice du département photonique de l’Institut de la Vision et spécialiste de l’optogénétique (voir article "Dr Valentina Emiliani, sculpter la lumière pour agir sur les neurones" sur Guide-Vue.fr). Si cette technologie permet de rendre photosensibles des cellules qui ne le sont pas ordinairement, la chercheuse l’a menée plusieurs crans plus loin, jusqu’à pouvoir activer ou inactiver spécifiquement des cellules individuelles. L’outil idéal pour explorer l’impact des cellules amacrines sur les différents types de cellules ganglionnaires. « Le fait que ces outils expérimentaux arrivent à maturité va nous donner la possibilité de regarder ce qu’il se passe lorsqu’on active ou inactive chaque cellule amacrine et d’interroger ainsi le système rétinien avec une grande précision », explique le Dr Olivier Marre.
Olivier Marre © Institut de la Vision
Même si, rappelle le Dr Olivier Marre, son projet de recherche est fondamentalement non appliqué, les résultats issus de ces inactivations spécifiques pourraient pourtant apporter une piste de réflexion pour des traitements cherchant à restaurer la vision grâce à l’optogénétique. « Cela permettra en fait de déterminer si ces cellules sont une bonne cible pour ces stratégies de restauration de la vision par thérapie optogénétique. En effet, à l’heure actuelle, les cibles sont plutôt les cellules ganglionnaires, les cellules de sortie. On élimine de fait la fonction de traitement de l’information de la rétine et on la ramène à une fonction de caméra. On va donc potentiellement vers une perception appauvrie, même s’il est encore trop tôt pour l’affirmer, car le cerveau peut potentiellement compenser l’intégration qui n’aura pas été faite par la rétine. A l’inverse, les amacrines sont peut-être une bonne classe de cellules à cibler car elles sont relativement peu affectées par les pathologies dégénérescentes. Les rendre photosensibles permettrait aux cellules ganglionnaires en aval de conserver une partie de la fonction d’intégration du signal lumineux de la rétine ». Des travaux préliminaires, sur modèles souris là aussi, sont en tout cas prometteurs. Dans ce cadre là, comprendre le rôle des différents types de cellules amacrines est de toute façon un prérequis essentiel pour pouvoir ensuite cibler les bonnes cellules.
Le projet Deep Retina comprend également un volet modélisation. L’utilisation de ce que les informaticiens appellent « réseaux de neurones » lorsqu’ils parlent de l’intelligence artificielle, ces couches de traitement successives de l’information, pourrait peut-être éclairer la façon dont fonctionnent les circuits neuronaux. « Lorsqu’on fait appel à ce type de réseaux profonds, on ne sait pas réellement comment ils fonctionnent, quelles sont les boucles de rétroactions, le nombre de couches impliquées. L’un des enjeux de Deep Retina est d’ouvrir cette boîte noire, d’aller scruter le fonctionnement de ces réseaux informatiques, et voir s’il est possible de faire des analogies avec les circuits biologiques de notre cerveau »,détaille le Dr Marre. Avec cependant une donnée à garder en tête : là où l’IA consomme énormément d’énergie, un tissu biologique de quelques millimètres carrés se montre bien plus efficace sur le plan énergétique pour implémenter des calculs qui sont loin d’être triviaux. La modélisation informatique de la réponse neuronale à des stimulus complexes pourrait donc être bien moins efficace que son jumeau biologique.
Le double défi de modélisation des circuits et d’identification des fonctions cellulaires impliquées dans les fonctions intégratives de la rétine semble colossal. Mais, « les projets Consolidator Grant de l’ERC sont toujours un peu risqués », sourit le Dr Marre, qui renchérit : « avec 2 millions d’euros sur 5 ans, cette bourse me donne les coudées franches, et la puissance de travail pour faire avancer la compréhension des mécanismes de codage de l’information lumineuse par la rétine ». Sa stratégie : simplifier le problème, le fragmenter en morceaux plus petits et plus faciles à aborder. Première étape : s’intéresser plus dans le détail à ces cellules ganglionnaires qui réagissent au contraste, et comprendre à quelles cellules elles se connectent, donc de quelles cellules elles intègrent les informations.
Propos recueillis par Aline Aurias
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