Impact de traitements pour pathologies générales sur la santé des yeux

Des études récentes ont suggéré une association entre l’utilisation de sémaglutide, médicament utilisé dans le traitement du diabète de type 2, et le risque de neuropathie optique ischémique antérieure non artéritique (NOIA-NA). Au regard de ces données, les experts appellent à la prudence, notamment chez les patients présentant des facteurs de risque de NOIA-NA.

Dr Catherine Vignal-Clermont Ophtalmologiste spécialisée en neuro-ophtalmologie, Cheffe de service honoraire à l’Hôpital Fondation Adolphe de Rothschild, Praticienne attachée à l’Hôpital National des 15-20.
La neuropathie optique ischémique antérieure, ou NOIA, est due à une ischémie aiguë de la tête du nerf optique par un bas débit dans les artères ciliaires courtes postérieures. Il s’agit de la plus fréquente des neuropathies optiques chez les personnes de plus de 50 ans (si l’on exclut le glaucome, dont l’évolution est chronique). Son incidence annuelle va de 2 à 10/100 000 cas par an chez les plus de 50 ans. « La NOIA typique provoque une baisse d’acuité visuelle brutale, indolore et isolée, qui survient souvent le matin, avec une acuité variable mais un champ visuel souvent amputé de moitié (déficit altitudinal)», explique le Dr Catherine Vignal Clermont, ophtalmologiste à l’Hôpital Fondation Adolphe de Rothschild.
Dans de rares cas (5% environ), la cause est la maladie de Horton, également connue sous le nom d'artérite à cellules géantes. On parle alors de neuropathie optique ischémique antérieure artéritique (NOIA-A). L’artérite à cellules géantes est une urgence diagnostique et visuelle. « Dans ce cas, il faut traiter le patient immédiatement avec des corticoïdes afin de prévenir l'atteinte du deuxième œil», précise l’ophtalmologiste.
Cependant, dans la plupart des cas, la maladie de Horton n'est pas en cause. La forme la plus fréquente est la neuropathie optique ischémique antérieure non artéritique (NOIA-NA). Comme l’explique le Dr Catherine Vignal-Clermont, « les patients concernés par la NOIA-NA sont généralement âgés de plus de 50 ans, et ont comme principal facteur de risque le fait d’avoir de petites papilles, donc des fibres visuelles très serrées, que l'on appelle des « disques à risque ». Ces patients sont souvent diabétiques et hypertendus. Le syndrome d’apnée du sommeil est également un facteur de risque majeur.»
A l’heure actuelle, la prise en charge des NOIA reste problématique car aucun traitement n’a fait la preuve de son efficacité. Toutefois, les facteurs de risques cardiovasculaires doivent être systématiquement recherchés et traités, comme le rappelle le Dr Catherine Vignal-Clermont : « Le seul traitement dont on dispose est d’équilibrer la tension artérielle. C’est important de verrouiller les facteurs de risque vasculaire ; et s’il y a un diabète, il faut également l’équilibrer. D’autre part, il faut rechercher un syndrome d’apnée du sommeil. On sait qu’il y a un risque d’atteinte de l’autre œil de 15 à 25% après 4-5 ans, et ce risque est moindre quand l’apnée du sommeil est traitée ».

En photos. A gauche, NOIA-NA sur petite papille, papille droite petite et pleine.
Au milieu : Œdème papillaire gauche avec pâleur prédominant en supérieur, typique de NOIA-NA.
A droite : déficit altitudinal inférieur du champ visuel gauche. © DR - Hôpital Fondation Rothschild
Sémaglutide et risque de NOIA-NA : des études préoccupantes
Développé initialement comme antidiabétique, le sémaglutide fait partie des médicaments de la classe des analogues du GLP-1. Les analogues du GLP-1 contrôlent la glycémie en se fixant sur les récepteurs de l’hormone GLP-1 (glucagon-like peptide-1), qui régule le taux de glucose sanguin et l'appétit. Efficaces dans le traitement du diabète de type 2 ou de l’obésité (sous les dénominations commerciales Ozempic et Wegovy pour le sémaglutide), ces médicaments qui entrainent une réduction des complications cardiovasculaires et une amélioration de la fonction rénale chez ces patients sont également détournés pour la perte de poids.
En 2024, une large étude américaine rétrospective publiée dans la revue JAMA Ophthalmology a suggéré pour la première fois que les patients à qui l'on avait prescrit du sémaglutide avaient un risque plus élevé de développer une neuropathie optique ischémique antérieure non artéritique (NOIA-NA)1. Bien que la même année, une méta-analyse des études randomisées réalisées chez les patients sous sémaglutide n’ait pas retrouvé de majoration significative du risque de NOIA-NA sous ce traitement2, d’autres études sont depuis parvenues à des conclusions similaires3 de sur- risque, bien que les chercheurs n’aient pu établir aucun lien de causalité.
Sources : 1. Hathaway JT, Shah MP, Hathaway DB, et al. Risk of Nonarteritic Anterior Ischemic Optic Neuropathy in Patients Prescribed Semaglutide. JAMA Ophthalmol. 2024;142(8):732–739. doi:10.1001/jamaophthalmol.2024.2296 2. Silverii GA, Pala L, Cresci B, Mannucci E. Glucagon-like peptide 1 (GLP1) receptor agonists and risk for ischemic optic neuropathy: a meta-analysis of randomised controlled trials. Diabetes Obes Metab. 2024;1-5. 3. Grauslund J, Taha AA, Molander LD, Kawasaki R, Möller S, Højlund K, Stokholm L. Once-weekly semaglutide doubles the five-year risk of nonarteritic anterior ischemic optic neuropathy in a Danish cohort of 424,152 persons with type 2 diabetes. Int J Retina Vitreous. 2024 Dec 18;10(1):97. doi: 10.1186/s40942-024 00620-x. PMID: 39696569; PMCID: PMC11657653.
Des précautions à prendre chez les patients à risque
« Il y a des cas rapportés plus ou moins nombreux, parfois issus de grandes études de cohortes rétrospectives. Cela soulève des interrogations : pourquoi un tel effet ? Parmi les explications possibles, ces médicaments régulent la glycémie très rapidement. Cela engendre des effets bénéfiques à long terme évidents mais peut également induire des effets secondaires à court terme » avance le Dr Catherine Vignal Clermont.
Elle rappelle que « ces médicaments, très efficaces pour traiter le diabète de type 2, sont de plus en plus prescrits. Si le rapport bénéfice-risque est en faveur de leur utilisation, il faut prendre des précautions. En consultation d’ophtalmologie, nous devons interroger les patients sur leurs facteurs de risque vasculaire, notamment le diabète, et leur poser la question des traitements qui sont en cours. Si l’examen retrouve un facteur local de risque de NOIA-NA, par exemple une petite papille pleine, ou des drusen de la papille, ou si le patient a des antécédents de NOIA sur un œil, il sera préférable, dans un principe de précaution d’éviter cette classe de médicaments. ll faut donc dans ce cas que l’ophtalmologiste informe le diabétologue et s’il n’est pas possible de changer de médicament, le patient doit être prévenu ».
Si des études sont nécessaires pour confirmer les effets du sémaglutide, la prudence reste donc de mise. « C’est un sujet suffisamment important pour que la SFO (Société Francaise d’Ophtalmologie) ait lancé une étude, et demandé aux ophtalmologistes de rapporter leurs cas », note le Dr Catherine Vignal Clermont.
Du côté de l’Agence européenne des médicaments (EMA), le comité de pharmacovigilance (PRAC) a initié l’évaluation de la sécurité des médicaments contenant du sémaglutide, à la suite de la parution des études pointant un risque de NOIA-NA. Elle indique qu’elle analysera toutes les données disponibles sur la NOIA-NA chez les patients traités par sémaglutide, y compris celles issues des essais cliniques, de la surveillance post-commercialisation, des études sur le mécanisme d'action du médicament et de la littérature médicale.
Propos recueillis par Sophie Vo.
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